Croyez-moi si vous le voulez (et si vous ne voulez pas, croyez-moi quand même, ou au moins, faites moi confiance), pour les gens de ma génération (c'est-à-dire nés au mitan des dramatiques et giscardiennes années 70), le passage à l'âge adulte n'a pas été des plus aisés.
Alors que nous quittions sans trop de regrets les années 80, l'avenir que l'on nous proposait n'était pas des plus florissants : chômage galopant, sinistrose généralisée, attaque de martiens, chute des utopies, fin du monde, j'en passe et des meilleures... Il restait une dizaine d'années à traverser tant bien que mal avant d'atteindre le mythique an 2000, son bug et ses espoirs de contact intergalactiques et autres sociétés multiculturelles et cosmopolites. Mais en
attendant, les années 90 se dressaient sur notre route, pleines d'incertitudes. Internet
balbutiait, Balladur s'apprétait à devenir premier ministre, Bill Clinton ne jouait pas encore du cigare mais uniquement du saxo, Navarro passait toutes les semaines et explosait l'audimat, les Bleus allaient se ridiculiser à l'Euro 92 après avoir manqué celui de 88 (celui du sublime Marco Van Basten, dont les posters ornaient ma chambre de jeune ado un peu boutonneux) et la coupe du monde 1990... Enfin bon, pour la jeunesse de France, c'était pas la joie....
En plus de tout ça, Lagaff trustait la première place du Top 50... Scorpions s'apprétait à faire souffler le vent du changement... Serge Gainsbourg faisait chantonner Vanessa Paradis...et Patrick Bruel faisait tomber les filles dans les pommes... Bref, après dix années de variété, on était parti pour une nouvelle décade de merdes... Vous allez me dire, en 1990, il y a eu aussi Bossanova des Pixies, Pretty hate machine de Nine Inch Nails, les débuts de Faith no more, Alice in chains, The Breeders, Green day, Soundgarden... Oui, mais moi, en 1990, j'avais quinze ans, et je n'avais accès qu'à NRJ.... C'est dire si mon horizon musical était limité (oui, bon, peut-être les débuts de la techno et du rap...). J'aurais pu me tourner vers la musique de mes aînés, mais à l'adolescence, on a besoin de se construire contre la culture de ses parents, alors les Beatles et les Stones, c'étaient un peu des vieux schnocks (en plus, rappellez vous des disques des Stones à l'époque, bof, hein...).
J'allais passer le cap difficile de l'adolescence, la vraie, celle des 16 - 17 ans, le lycée, les premières clopes, le temps passé au café au lieu d'aller en cours, avec comme perspective musicale un nouveau Genesis, le double album des hard rockeurs en carton pâte Guns'n'roses ou l'hyper Dangerous de Bambi Jackson... Rien qui allait me permettre d'extérioriser la rebellion que je sentais monter, rien qui me donnent envie de tout faire péter et de me dire que c'était avec ça dans les oreilles que j'allais le faire.
J'allais avoir seize ans, et à mon anniversaire, on m'offrirait Qui a le droit ou Saga Africa ? Et c'est avec ça que j'allais devoir m'exploser la tête, c'est le son de Yannick Noah que j'allais devoir monter pour faire comprendre à mes parents que leurs questions débiles ne m'intéressaient pas ? Mais moi, je voulais du rock, du vrai, du qui tâche... Et du qui serait à moi, et rien qu'à moi, qui ferait chier les grands de terminale et seraient insupportables aux oreilles chichiteuses des chiards du collège...
J'avais beau chercher dans tous les magazines spécialisés (Best, Rock and folk), je ne trouvais rien. Cure, U2, Queen...
Oui, bien sûr, mais quelle originalité ? Les curistes avaient disparus des cours de recrés depuis belle lurette, U2 remplissait déjà des stades et Freddy Mercury n'allait pas tarder à chanter l'hymne officiel des jeux olympiques avec Montserrat Caballé... On s'esbaudissait sur Morrissey, qui n'était déjà plus que l'ombre de lui-même, la Mano Negra allait splitter, et Noir Désir traversait (déjà) une mauvaise passe. (Oui, je sais, je vais me faire des amis, mais c'est comme ça... ça veut pas dire que tout était mauvais non plus, c'est juste pour la clarté du récit...)
Je ne saurais pas vous dire quel jour exactement cela à eu lieu. Je ne saurais pas vous où j'étais la première fois. Je me souviens d'un article de journal, au titre évocateur, qui annonçait l'avénement aux Etats-Unis d'un nouveau groupe de jeunes gens mal habillés, originaires de la région de Seattle, et de l'amorce de mouvement musical qui les accompagnait : Nevermind the bollocks, it's Nirvana (faisant référence au titre du premier
album des Sex Pistols, pour les incultes). Je ne sais plus si j'avais déjà entendu Smells like teen spirit à l'époque, ou si j'ai découvert Nirvana sur papier glacier, mais je sais que ça a changé ma vie. Parce que c'était mon truc. Ma mode, mon style, ma musique, ma génération, mon époque, mes potes... Mes cheveux ont poussé, mon jean s'est troué, ma chemise a eu des carreaux, j'ai acheté une guitare électrique, j'ai bougé la tête d'avant en arrière comme un fou furieux et j'ai monté le volume à fond à chaque fois que passait Nevermind... J'étais devenu grand.
Après, ça a deferlé, Pearl Jam, Alice in chains, Soundgarden, The Smashing Pumpkins, la redécouverte de papy Neil Young, les films générationels comme Singles ou Génération 90 (reality bites en VO, de Ben Stiller, avec Ethan Hawke et Winona Ryder), Courtney
Love, les passages de Nirvana à NPA, Incesticide, In utero, le concert au Zénith, Unplugged, le suicide... Et les années 90 sont passées comme sur des roulettes. Le rock est revenu, le Maak a grandi, il a coupé ses cheveux, troqué ses jeans troués contre des jeans sans trous et des costards, remisé définitivement la guitare électrique dont il n'a jamais su jouer, il a pris un énorme coup de vieux en croisant un jour un gamin de 13 ans portant un T-shirt Nirvana (alors qu'il était probablement pas né en 1991, ou à peine bambin) et il est devenu un vieil adulte responsable... Mais au fond de lui, caché (oh, pas très loin, à fleur de peau, presque), il est resté ce petit grunge (qui, selon la légende, signifierait en argot, "la crasse sous les ongles", beurk) qui n'en a rien à foutre de rien mais tient à le cracher à la face du monde...
Rock n Roll, and nevermind...
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