Pas plus tard qu'il y a peu de temps, par un effet de ma bonté (sans limite) et pour des raisons qui me sont propres, j'ai accepté (sans râler) d'accompagner une personne qui m'est chère (pour de multiples autres raisons que je ne détaillerais sûrement pas ici) à une "vente privée" organisée par la marque de vêtements chers et aisèment destructibles (mais il paraît que c'est fait exprès) Zadig et Voltaire.
Avertis par l'expérience (la sienne, parce que moi...), nous nous levâmes à l'aube (10h, en pleine semaine) pour nous rendre à l'adresse ultraselect et sûrement ultrasecrête inscrite en tout petit sur le carton d'invitation (crypté et envoyé sous pli cacheté à quelques happy few).
A 11 heures, après m'être fait engueuler comme du poisson pourri parce que moi je connaissais l'adresse et étais capable de trouver la rue (faut dire, j'avais regardé un plan, avant), nous arrivâmes, tous pantelants d'excitation (enfin, elle surtout) devant la porte dérobée derrière laquelle se trouvaient les objets de son désir.
Malheur ! nous n'étions pas seuls, et je perdais d'un seul coup toutes mes illusions sur le terme "privé". Une file partait de devant la porte et s'étendait sur quelques centaines de mètres, tournait au coin de la rue, et continuait au-delà. Quelqu'un avait dû photocopier l'invitation et la donner (la vendre) à l'ensemble des acheteuses de Marie-Claire, Elle, Biba, Cosmo et quelques autres magazines féminins dont j'ignore heureusement l'existence. Par chance, nous
aperçûmes, à quelques mètres seulement du début de la queue, une vague connaissance que nous nous empressâmes de rejoindre. Pendant que les deux jeunes femmes papotaient et cancannaient, j'eus tout le temps d'observer le ballet magnifique et parfaitement pitoyable de trois hommes en costumes noirs, portant des oreillettes et qui parlaient parfois à leurs manches, comme s'ils se croyaient dans un inédit de FBI portés disparus (d'ailleurs, l'un d'eux cherchait désespérement à avoir un vague air de Danny).
Danny et ses collègues, quand ils n'étaient pas occupés à jouer aux agents secrets, s'approchaient parfois de la file, et d'une voix vaguement autoritaire, demandaient aux joyeuses futures acheteuses de se tenir bien collées contre le mur, au cas improbable où quelqu'un voudrait passer. Les braves filles obtemperaient, cinq secondes, et tout recommençait.
Quelques filles essayaient de passer devant tout le monde en prétextant un rendez-vous important ou le travail qui n'attendrait pas. Mais le cerbère de la porte était sourd à leurs suppliques et à leurs offrandes.
A 11 heures 30, nous étions enfin parvenus devant l'entrée, et, le sésame à la main, nous nous apprétions à pénetrer enfin le saint des saints. On nous fit avancer dans une cour, jusqu'à quelques marches qui menaient, enfin, au hall. Là, on nous fit enlever nos manteaux, poser nos sacs. Nous ne pouvions accéder à la salle réservée à la vente que débarassés de nos vulgaires habits extérieurs. Mais munis de nos moyens de paiement, quand même.
La vente en elle-même se déroulait dans une vaste pièce, emplie de forces portants et tables, et qui grouillait de femelles en chaleur (désolé pour cet accès de misogynie, mais c'est le mot qui s'imposait). Laissant la personne qui m'accompagnait se ruer sur les quelques chaussures qui avaient échappé aux premières entrées, je me dirigeais (disons plutôt je me frayais un chemin) vers le rayon homme. Quitte à être là, autant ne pas être venu pour rien. Las, je ne trouvais que quatre pulls taillés (petit) pour des schtroumphs anorexiques et deux chemises sous perfusion, qui venaient en plus d'être piétinées par une centaine de femmes. Bref, pas grand chose, et rien qui pourrait résister plus de vingt secondes à mon corps musclé de rugbyman à la retraite (je le sais, j'ai essayé. Et un pull 100% cachemire à 160 euros pièce - en solde - de moins, un !).
Dépité, je décidais de rejoindre celle qui m'avait traîné là. Par chance, j'avais eu la bonne idée de l'affubler, avant de partir, d'un très seyant foulard coloré autour des cheveux, ce qui me permettait de la repérer de loin, à moitié noyée sous une montagne de petits-pulls-trop-chou et de pantalons-hyper-tendance pour gamine de 12 ans. Mais elle était très loin, et la foule qui nous séparait était proche de l'hystérie. On se battait pour un t-shirt, on s'arrachait une paire de bottes. C'était la guerre.
N'éprouvant aucune honte, et n'ayant pas la moindre considération pour la santé visuelle de ceux qui pouvaient regarder,
certaines filles n'hésitaient pas à retirer leurs vêtements pour essayer le chemisier qu'elles avaient réussi à s'approprier. Certaines, qui avaient eu la chance de tomber sur un jean, se promenaient même au milieu du champ de bataille en petite culotte et soutien gorge. Celles-là étaient en général très moches et très mal foutues (ceci dit pour ne pas donner à mes congénéres masculins l'envie de réaliser la même expérience que moi).
N'écoutant que mon courage (et mon désir de m'enfuir au plus vite), je me faufilais jusqu'à ma chère amie, et lui faisait remarquer qu'on allait peut-être pas y passer la journée. D'autant plus que je venais découvrir que, non contents d'avoir fait la queue pour entrer, nous allions maintenant devoir faire la queue pour payer. Oui, pour payer. Je pris donc de ses mains le sac qu'elle remplissait de vêtements, et pris ma place dans la deuxième file de la journée. Abandonné par ma compagne de vente (qui en avait profité pour refaire un dernier (promis...) petit tour pour voir si rien ne lui avait échappé), j'entamais donc une heure d'attente pour atteindre la seule et unique caisse du lieu. Pendant ces soixante minutes, j'eus l'immense privilège de profiter de la conversation hautement intellectuelle de six représentantes de la gente féminine. Et quelles réprésentantes ! Je vous livre ici, pour votre édification personnelle, quelques bribes de ce dialogue :
- Moi, j'ai pris ça.
-Hiiiiiiiii !
-Vous trouvez que c'est joli ? Mais je suis pas sûre, c'est un peu petit, non ?
- Si tu le prends pas, je le prends, moi.
- Non, mais je le prends. Oh, il est top, ce top !
- Moi, le petit pull noir, je l'ai déjà. Par contre, je prendrais bien le gris.
- Mais le haut sans manches, tu le mets avec quoi ?
- Attends, tu l'as trouvé où, celui là ? Je le veux, je le veux, je le veux !
Et ça, pendant une heure, rythmée par les allers retour de la traitresse (Oh, attends, je vais voir par là), et portant un sac qui s'alourdissait et se vidait au gré de ces changements d'avis incessants.
Arrivés à la caisse, il nous fallu encore subir les sarcasmes de Danny et son oreillette, en plein délire sécuritaire,
(- Attention, vous devez mettre tous les vêtements dans les sacs, on vérifiera les sacs. Vous n'avez pas le droit de reprendre vos affaires avant d'avoir payé. Collez vous contre le mur. PAS BOUGEZ !)
puis régler la douloureuse avant de pouvoir, enfin, retrouver l'air libre et nous ruer sur le café le plus proche pour évaluer avec les copines les trouvailles du jour, discuter de celles qu'on avait pas eu et programmer la prochaine vente privée (mais sans moi, pitié).
Bilan : trois heures définitivement perdues, des cloques sous les pieds, une épaule douloureuse (le sac est resté ma propriété jusqu'à la maison) et (pour moi) un petit pull noir en cachemire à 40 euros, mais avec des trous, mais à 40 euros, mais troué, et qui va sûrement être tout juste à ma taille, voire un peu petit (mais après tout, quitte à se faire chier pendant trois heures, autant se faire un peu plaisir. Et puis, j'aime bien Zadig et Voltaire, ça doit être mon côté bobo ou ubersexuel), mais à 40 euros. Quand à celle qui m'avait fait ce sale coup, à part quinze kilos de fringues neuves qu'elle ne mettra jamais, elle s'en est tirée avec un découvert de 400 euros. Je suis vengé.
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